Au lendemain du départ de la Route du Rhum, la Fédération des industries nautiques organisait cet après-midi, au Sénat, un colloque sur la planification maritime. Les organisateurs m’ont fait l’amitié de m’inviter en tant que « témoin ultramarin ». Gageons que l’obligation de planification imposée par l’Union Européenne favorisera la prise de conscience de la dimension maritime de la France!
Monsieur le sénateur et cher collègue,
Monsieur le président de la fédération des industries nautiques,
Chère Karine Claireaux,
Mesdames, messieurs,
Je vous remercie, de m’avoir convié en tant que témoin ultramarin de la place des outre-mer et de celle du nautisme dans les outre-mer. En tant que tel, je ne pourrai vous livrer qu’une vision globale car dans ce domaine également outre-mer se décline au pluriel.
Avec 97% de l’espace maritime français situé outre-mer et premier domaine maritime européen, il est surprenant que l’obligation de planification vienne de l’Union européenne et qu’elle n’ait pas été une évidence pour la France. La mer est en effet un espace multidimensionnel où coexistent enjeux économiques, écologiques, sociaux, culturels et c’est aussi une immense source d’innovation.
De ce point de vue, le nautisme ne saurait être considéré uniquement sous son angle ludique mais selon une approche globale incluant toutes ses dimensions notamment économiques. Il va sans dire que pour les économies ultramarines tournées vers le tourisme, c’est l’apport du nautisme au tourisme qui s’y trouvera privilégiée justifiant d’ailleurs la part qui lui est faite dans la plupart des politiques touristiques ultramarines.
Ce secteur comme le tourisme doit être envisagé selon une approche intégrée en tenant compte des activités annexes qu’il engendre telles que l’entretien des bateaux, la construction ou encore la mise en sécurité en période cyclonique, etc. A cet égard, l’ouragan Irma a soulevé une réflexion sur les conséquences du dérèglement climatique sur l’intensité des phénomènes naturels qui – me semble-t-il – devrait englober une réflexion sur l’évolution des infrastructures nautiques et portuaires.
Mon siège de président de la délégation sénatoriale m’offre une vision périphérique des outre-mer et me permet ainsi de constater la prise de conscience unanime et grandissante du potentiel de croissance et de la formidable opportunité de développement que peut constituer l’économie bleue.
Le nautisme en est un des secteurs et sa place bien que grandissante dépend de la culture nautique de chaque territoire. La Martinique par exemple, l’a placé au cœur de sa stratégie touristique en 2018 et la Guadeloupe, autre exemple, s’inscrit peut-être davantage dans une stratégie d’ensemble avec l’annonce de la l’ouverture d’un lycée de la mer.
Il me semble donc difficile, vous l’aurez compris, de parler d’une politique nautique uniforme outre-mer.
A côté de sa dimension économique, la portée socio-éducative du nautisme ne doit pas être négligée cet cela est encore plus vrai sur une île. A titre d’exemple, le nombre et la variété des valeurs éducatives, sportives, sociales, humaines que peuvent véhiculer l’enseignement et la pratique de la voile ne se comptent plus.
Dans certaines collectivités, je pense qu’un rendez-vous a été manqué, le nautisme et la plaisance pâtissant d’une image dégradée du nautisme qui avait massivement saisi l’opportunité de la défiscalisation mais qui s’est « mal développé » faute d’être adossé à une stratégie.
Ce sont là parmi les enjeux les plus saillants avec la préservation de la biodiversité marine qui devraient présider à la définition de la place du nautisme dans la planification spatiotemporelle de la mer. Ils justifient voire imposent, que la planification elle-même soit un processus de co-construction avec une forte impulsion locale en raison de la répercussion des activités maritimes sur la vie du territoire.
Cela est d’autant plus vrai en outre-mer et dépend en outre du statut de chaque territoire. Ainsi, des bassins maritimes ont été délimités dans tous les océans à l’exception des zones incluant la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française en raison de leurs compétences en matière maritime. Saint-Barthélemy quant à elle est incluse dans le bassin maritime Antilles mais du fait des compétences en matière d’aménagement portuaire et de desserte maritime transférée par l’État, elle opère de manière autonome dans ces domaines.
J’en profite pour préciser qu’il convient également de distinguer en outre-mer les régions ultrapériphériques, auxquelles la directive européenne s’appliquera, des pays et territoires d’outre-mer qui n’y seront pas soumis.
Pour autant, sans y être tenue, Saint-Barthélemy a fait le choix d’une planification de son espace en concordance avec l’économie de l’île. Comme vous le savez certainement, elle se place sur un segment touristique particulièrement exigeant d’où une gestion de toutes les strates de l’économie dans le temps et dans l’espace qui s’impose – on pourrait presque dire naturellement compte tenu de la taille de l’île.
Nous avons donc une pratique ancienne de la planification notamment à travers plusieurs événements nautiques internationaux comme la Bucket Regatta, ou encore plus récemment les Voiles de Saint-Barth ou la transat AG2R qui inscrivent Saint-Barthélemy sur un calendrier événementiel et induisent de sanctuariser des espaces. C’est le cas également de la gestion du port de l’île ( et de la zone portuaire), véritable poumon économique, dont l’usage est en résonance avec le rythme des saisons touristiques de l’île.
L’événementiel est donc à la fois obligation de planification et levier économique. A cet égard, la Route du rhum remplit de même pour la Guadeloupe ces deux fonctions.
Comparée aux autres îles françaises de la Caraïbe, Saint-Barthélemy se démarque par sa clientèle majoritairement nord-américaine lui conférant de ce fait une culture plus internationale. Elle nous amène à être particulièrement conscients de la place que pourrait occuper le nautisme dans le rayonnement international de la France. La planification devrait être l’occasion non pas d’une sur transposition des contraintes et des normes mais au contraire d’assouplissement et d’harmonisation afin de développer la présence nautique française.
La collectivité de Saint-Barthélemy avait d’ailleurs pour ambition de contribuer à ce déploiement en créant quartier des affaires maritimes également animée d’un souci de simplification administrative. Aujourd’hui, la collectivité a la possibilité d’immatriculer des navires et délivrer des cartes et titre de navigation qui se limite aux navires de plaisance à usage personnel non soumis à francisation, compétence obtenue après une âpre négociation ! La planification devrait être l’occasion de simplifier y compris sur le territoire national.
Comme je vous l’annonçais plus haut, un autre enjeu est celui de la préservation de la biodiversité. En Nouvelle-Calédonie par exemple, la délimitation d’espaces de protection sanctuarisés par les autorités locales peut se heurter au droit international et notamment faute de cartographie exhaustive donner lieu à des échouages de navires sur des récifs coralliens. La conciliation des usages avec l’impératif de préservation a donné lieu à Saint-Barthélemy à la création de réserves marines protégées et l’édiction d’une réglementation des activités nautiques aux abords. Planifier suppose de répertorier l’espace maritime et d’articuler les droits de manière à ce que l’un n’entre pas en conflit avec l’autre.
Dès lors qu’il s’agira selon la définition de la Commission européenne de planifier « où et quand les activités humaines se déroulent en mer », cet aspect devra naturellement être pris en compte dans l’optique de la durabilité des activités. On peut y voir une autre source d’innovation avec le développement d’activités nautiques compatibles avec cette exigence écologique.
Tout cela pour vous dire que la planification me semble plus encore indispensable aujourd’hui qu’hier du fait de la croissance de l’économie bleue qui suppose une bonne régulation de la multitude des activités maritimes.
L’articulation d’une délimitation de l’espace et du calendrier d’usage de ces différents espaces crée une politique. En ce sens, Saint-Barthélemy a défini une organisation en parfaite harmonie avec le cycle économique de l’île. De là procède par exemple, la limitation de la taille des navires de croisière strictement encadrée afin de permettre d’accueillir nos visiteurs dans des conditions correspondant aux capacités d’accueil optimales de nos infrastructures.
Enfin, sans qu’il s’agisse d’ériger Saint-Barthélemy en modèle, j’ai souhaité vous faire partager son adhésion ancienne au principe de planification de l’espace maritime.
Et je dirai pour conclure que du point de vue de l’outre-mer, la planification me semble une double opportunité. A la fois parce qu’on peut espérer qu’elle parachèvera la prise de conscience par l’État de sa propre dimension maritime et aussi pour les collectivités en les contraignant à formaliser le développement de leur politique nautique et maritime.
Michel Magras
Sénateur de Saint-barthélemy
Président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer