tribune de Michel Magras

Je ne voudrais pas assister impuissant à la reconstruction qui semble se dessiner uniquement sur la base de stratégies sectorielles cloisonnées, sans une analyse globale des conséquences à l’échelle de l’île.

J’ai donc choisi de prendre la plume pour livrer les quelques réflexions suivantes.

L’après Irma doit en effet, à mon sens, se penser de manière solidaire au sens macroéconomique parce que plus que jamais les décisions individuelles des uns peuvent avoir des répercussions sur l’ensemble de la société locale et y compris sur son équilibre social stable mais fragile.

L’activité touristique est interdépendante

Dans le secteur de l’hôtellerie, deux situations coexistent.

D’un côté, celle des hôteliers, indépendants ou appartenant à un grand groupe. Leur assurance prendra en charge la réparation des dégâts ainsi que leurs pertes d’exploitation tandis que leurs personnels en CDI bénéficieront du chômage technique. Financièrement, il est certain qu’ils ne feront pas une meilleure saison que celle de l’année dernière, mais la couverture de leurs pertes d’exploitation devrait toutefois les maintenir à un niveau de revenus quasi équivalents à l’an dernier durant la durée des travaux. Dans ces conditions, une première approche a conduit à licencier les personnels en CDD et les saisonniers avec pour conséquence la rupture des baux de location de leurs logements. Dans le même temps, les clients sont quant à eux orientés vers d’autres destinations.

De l’autre côté, les villas de propriétaires constituent le deuxième parc de nuitées de l’île. Là, les dommages matériels sont assurés, et sauf à ce qu’elles soient exploitées par une entreprise, les pertes de revenus locatifs ne seront pas considérées comme des pertes d’exploitation, contrairement à celles des villas appartenant ou exploitées par les hôteliers.

L’hébergement touristique constituant le cœur de notre économie, je voudrais que chacun soit conscient que les autres activités sont non seulement périphériques mais surtout interdépendantes. C’est pourquoi je veux mettre en garde sur les conséquences des décisions des uns sur les autres.

En l’absence de concertation, est en effet en train d’émerger une communication née de l’addition de la communication de chaque hôtel sur sa fermeture donnant une impression de stratégie globale de l’île. Certes, l’entreprise n’a ni vocation sociale ni humanitaire et prend ses décisions en fonction de ses intérêts. Mais il reste que sa rentabilité dépend aussi de son environnement et ceci particulièrement dans les petits territoires insulaires. Cette dimension me semble occultée au profit d’arbitrage tenant compte uniquement de l’intérêt propre de chaque hôtel.

De plus, sous le choc et en prévision du ralentissement de l’activité économique, de trop nombreux départs sont annoncés. Les départs définitifs de personnes installées sur l’île depuis longtemps entraineront une chute de la consommation et dès lors un déséquilibre dans l’économie et la vie sociale. Cela présagerait à terme l’arrivée d’une nouvelle population avec toutes les incertitudes que cela suppose pour un si petit territoire.

Notre interdépendance justifie donc à elle seule la mise en place d’une stratégie globale dans laquelle en particulier toutes les catégories hôtelières sont solidaires les unes des autres car une large part de notre économie repose sur elles. Sans hébergement pas de tourisme.

On ne répétera jamais assez que les échecs des uns ne feront pas les succès des autres et la réputation de Saint-Barthélemy repose sur la réussite de tous. Ceci suppose de maintenir la destination grâce à une communication volontariste et mettant en perspective la reprise de l’accueil des visiteurs plutôt que vers les dégâts causés par l’ouragan.

Repenser le parc locatif privé

A côté de l’hébergement touristique, le parc de logement locatif ne doit pas être ignoré. La pression foncière a conduit à un emballement des prix et au délitement des conditions de location, tant du point de vue contractuel que des conditions de logements.

La conjonction des départs et des travaux de reconstruction devrait permettre de repenser l’encadrement du logement locatif privé pour corriger ces évolutions et ramener le parc locatif vers une situation plus raisonnable. Gageons que par la loi de l’offre et de la demande, le surcroît d’appartements vides générera naturellement une première pression à la baisse sur les loyers.

Les personnels saisonniers font partie de l’économie touristique mais leur présence temporaire ne saurait davantage être un prétexte pour laisser se développer une précarisation des conditions de logement, une augmentation exponentielle des loyers et une promiscuité intolérable. Les loyers au lit ne sont pas acceptables pas plus que la location sans bail et ne garantissant pas une durée minimale d’occupation au locataire.

Il convient d’anticiper l’hébergement des personnels hôteliers en distinguant les saisonniers et les stagiaires d’une part et d’autre part, les personnels en CDI des hôtels.

Les premiers devraient être hébergés dans des logements dont leur employeur serait le titulaire du bail.  Les seconds, ayant vocation à s’installer pour une longue durée à Saint-Barthélemy devraient relever de la location soit à titre individuel soit prise en charge par leur employeur en fonction des clauses de leur contrat de travail.

Une nouvelle réglementation du logement édictée par la collectivité pourrait ainsi être la clé de voûte d’un marché locatif mieux pensé et plus raisonnable.

Michel Magras
Sénateur de Saint-Barthélemy
Président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer

 » L’hébergement touristique constituant le cœur de notre économie, je voudrais que chacun soit conscient que les autres activités sont non seulement périphériques mais surtout interdépendantes. »

« Les personnels saisonniers font partie de l’économie touristique mais leur présence temporaire ne saurait davantage être un prétexte pour laisser se développer une précarisation des conditions de logement, une augmentation exponentielle des loyers et une promiscuité intolérable. »