Différentiation territoriale et outre-mer. Contribution de Michel Magras

Contribution de Michel Magras.
«  Réforme territoriale et différenciation(s) ».
Sous la direction de Jean-Bernard Auby, Olivier Renaudie.
Editeur : Berger-Levrault. 02/2016

CHAPITRE 9


DIFFÉRENTIATION TERRITORIALE ET OUTRE-MER

C’est sans aucun doute en outre-mer que le principe de différenciation territoriale trouve son application la plus achevée. À première vue, on peut y voir une certaine évidence qui tient notamment à la situation géographique de ces territoires. Mais à bien y regarder, la diversité des statuts en fait un véritable laboratoire institutionnel dont les différentes expériences pourraient, sinon devraient, nourrir la réflexion sur le processus de décentralisation nationale.

L’adoption récente de la loi NOTRe montre, s’il en est besoin, que l’organisation décentralisée de la République est désormais acquise mais qu’elle cherche encore sa forme définitive. Cette recherche s’inscrit par ailleurs dans un contexte qui n’est plus seulement national, mais européen, voire mondial. Il s’agit d’un côté de concilier l’exigence d’unité de la République et la réalité de la diversité territoriale, de l’autre de donner les moyens à l’échelon local de s’adapter aux mutations qui dépassent le seul cadre national. Autrement dit de mettre en oeuvre les réponses les plus adaptées au plus près du citoyen. À cela s’ajoute la nécessité de rationalisation de la dépense liée à l’organisation territoriale qui influence la conception de la gouvernance.

C’est de ces points de vue que l’outre-mer est riche d’enseignements.

D’abord, au niveau national, l’outre-mer incarne historiquement l’idée de différenciation territoriale. Elle se retrouve à travers les grandes évolutions du principe d’adaptation, fondement constitutionnel de la différenciation de l’outre-mer.

Dès 1946, la Constitution consacre le principe de l’application indifférenciée des règles tout en prévoyant la possibilité d’exceptions, préfigurant ainsi la notion d’« adaptation ». Dans le même temps, la départementalisation, la même année, visait un rapprochement institutionnel au nom de l’égalité républicaine.

Par la suite, c’est en outre-mer que les premières lois de décentralisation ont posé les fondements d’une organisation institutionnelle différenciée. En effet, bien que la loi portant adaptation de la loi no 82-213 du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions à la Guadeloupe, à la Guyane, à la Martinique et à la Réunion ait été censurée par le Conseil constitutionnel, elle n’en reste pas moins une étape fondatrice qui marque encore aujourd’hui le débat sur l’organisation territoriale dans les collectivités régies par l’article 73 de la Constitution.
Le Conseil constitutionnel avait alors estimé que confier la gestion des départements d’outre-mer à une assemblée unique revenait à conférer « à cette assemblée une nature différente de celle des conseils généraux ».
C’est paradoxalement la loi relative aux compétences des régions de Guadeloupe, de Guyane, de Martinique et de la Réunion de 1984 qui marque la traduction, même limitée, d’une organisation différenciée pour l’outre-mer. Bien qu’issues de la mise en oeuvre du principe d’uniformité nationale des institutions locales, elles ont bénéficié de compétences différenciées notamment en matière de transports. La région monodépartementale est de plus en soit une organisation différenciée.

La révision constitutionnelle de 2003 a, quant à elle, véritablement entériné les évolutions de la notion d’« adaptation ». En premier lieu, en inscrivant nominativement chaque territoire dans la loi fondamentale, elle a consacré leur droit à une organisation différenciée dont le cadre et les modalités sont prévus par ses articles 73 et 74, alors que jusque-là ces collectivités étaient identifiées par leur statut. Les collectivités situées outre-mer peuvent – en tout ou partie – ainsi désormais opter pour un régime juridique de droit commun assorti d’adaptation y compris de leurs institutions locales – départements-régions d’outre-mer (DOM-ROM) –, ou un statut particulier « à la carte » avec des transferts de compétences de l’État à la collectivité – collectivités d’outre-mer.

Autrement dit, dans les DOM, le droit national s’applique, sauf exception. En outre, à la condition d’avoir recueilli le consentement de leur population, ces collectivités peuvent bénéficier d’une organisation et d’une gouvernance locale qui leur est propre. C’est le choix de la Guyane et de la Martinique qui disposent depuis les dernières élections régionales de collectivités sui generis administrées par une assemblée unique en lieu et place de leurs conseils départemental et régional.

En second lieu, au titre des avancées de 2003, il convient de souligner la faculté offerte aux DOM-ROM d’être, quelle que soit leur gouvernance, habilités à modifier les règles dans les matières relevant de leur compétence dans les domaines législatifs et réglementaires. L’adaptation n’est donc pas seulement institutionnelle mais aussi normative. Dans ce cadre, on est donc passé d’une adaptation qui jusque-là passait exclusivement par l’État à une forme de décentralisation de la faculté d’adaptation.

Parallèlement, l’article 74 offre la possibilité de véritables statuts « à la carte » pour les collectivités d’outre-mer dans lesquels coexistent les régimes d’identité et de spécialité législative. Dans ce second cas, le droit commun ne s’applique pas – sauf exception – soit parce qu’il ne s’étend que sur mention expresse, soit parce que la compétence ayant été transférée, le pouvoir normatif dans le domaine transféré est confié à la collectivité d’outre-mer. Elle fixe alors les règles applicables sur son territoire.

Compte tenu de la diversité des combinaisons de matières transférées et d’organisation des institutions locales, on peut considérer que les nouveaux statuts de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin ne constituent que deux possibilités parmi une multitude d’alternatives statutaires répondant aux « intérêts propres au sein de la République » de chaque territoire d’outre-mer. C’est le « cousu main » institutionnel.

Néanmoins, à partir de l’exemple de Saint-Barthélemy, trois grands piliers autour desquels s’articulent les statuts des collectivités d’outre-mer peuvent être identifiés.

Le premier est celui qui regroupe l’ensemble des compétences demeurées régies par le principe d’identité législative et relevant de la compétence de l’État. Il réunit les matières dites « régaliennes » – telles que la nationalité,les droits civiques, les garanties des libertés publiques, l’état et la capacité des personnes, l’organisation de la justice, etc. – énumérées à l’article 73 de la Constitution comme ne pouvant être transférées aux collectivités d’outre-mer.

Les statuts des différentes collectivités d’outre-mer permettent d’établir une distinction au sein des compétences entre les compétences de « gestion » et d’autres qui touchent aux principes qui fondent l’unité nationale.

À ce titre, le domaine de la sécurité sociale constitue un exemple représentatif. En effet, contrairement à la Polynésie française, compétente pour fixer ses propres règles, Saint-Barthélemy a dans un premier temps renoncé à ce choix avant de revenir récemment sur cette position. La collectivité souhaitait à tout le moins partager l’exercice de la compétence en matière de sécurité sociale avec l’État afin de mettre en place une caisse de sécurité sociale autonome.

Or, alors que constitutionnellement il s’agit d’une matière transférable, les débats lors de l’examen de la proposition de loi portant diverses dispositions relatives à la collectivité de Saint-Barthélemy montrent que l’approche par opportunité a prévalu sur la légalité. Plus ou moins explicitement, le Gouvernement et le Parlement ont exprimé des réserves liées à la volonté de préserver l’accès à la protection sociale de tout risque de différenciation.

Ainsi, ce premier « bloc » est celui qui, à mon sens, peut être considéré comme relevant de l’unité républicaine.

Le deuxième bloc quant à lui est constitué des compétences transférées à la collectivité dont on peut dire qu’elles mettent réellement en oeuvre la différenciation territoriale. Ces compétences permettent une gestion différenciée de l’essentiel des questions touchant à la vie quotidienne du territoire et à la politique publique locale.

On y retrouve des domaines tels que la fiscalité, l’urbanisme, le tourisme, l’environnement, l’accès au travail des étrangers, la circulation routière, etc. Ce sont ces matières qui constituent le socle de la loi organique statutaire, arrêtées en concertation avec l’État.

À ce titre, sans doute faut-il admettre que la compétence fiscale est une clé de la différenciation. Dans le cas de Saint-Barthélemy, certes, son transfert a davantage entériné une situation fiscale de fait héritée du traité de rétrocession par la Suède en 1784 qu’il n’a créé une différenciation fiscale. Pour qu’il ne soit pas un élément de compétitivité déloyale au regard de la fiscalité nationale, le statut fiscal a été assorti de la clause dite « des cinq ans ». Elle préserve ainsi l’État d’une évasion fiscale qui serait encouragée par une fiscalité à première vue plus avantageuse que la fiscalité nationale. Élément clé de l’adaptation, le système fiscal local est conçu pour compenser les handicaps issus de la double discontinuité territoriale et les surcoûts qui en résultent en optimisant les sources de recettes fiscales locales.

En outre, l’expérience de Saint-Barthélemy s’agissant de la fiscalité montre combien la différenciation est conçue au regard de l’unité dans ce domaine également. En effet, lorsque l’État transfère une charge, il procède au calcul du différentiel charges/ressources transférées. Il est ressorti du calcul effectué pour Saint-Barthélemy que les ressources étant supérieures aux charges, la collectivité devait reverser annuellement un solde s’établissant à 5,6 M€/an à l’État. Saint-Barthélemy non seulement ne perçoit plus aucune indemnité de l’État, mais elle est en plus redevable d’une dotation globale de compensation des charges (DGC) dite « négative ». Un accord entériné par loi de finances pour 2016 a ramené le montant de cette dernière 2,8 M€ en contrepartie de la suppression du bénéfice du fonds de compensation de la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA). Cela revient, d’une part, à considérer que la différenciation doit être mise en oeuvre à périmètre national constant et, d’autre part, à effectuer une lecture inversée du principe constitutionnel qui prévoit que tout transfert de charge s’accompagne de la ressource correspondante. Ici, le transfert de la ressource s’est en effet accompagné de la charge correspondante.

Si en outre-mer la compétence fiscale est essentiellement liée à la responsabilité locale et à l’adaptation à un environnement différent de celui de la métropole, rapportée au contexte national, la fiscalité renvoie à la problématique de la compétitivité du territoire car elle peut en être un instrument. Dès lors, soit on considère que l’égalité devant la charge fiscale doit être vue comme une garantie du pacte républicain, soit on considère qu’elle peut être un outil de compétitivité locale, justifiant la différenciation. C’est, dans une bien moindre mesure, d’ores et déjà le cas en matière de fiscalité locale.

Ceci étant dit, il reste que le transfert de compétences n’a de sens qu’avec la maîtrise totale de la gestion de la ressource budgétaire nécessaire à l’exercice de ces compétences.

Le troisième « bloc » est celui des matières relevant de la compétence de l’État auxquelles les collectivités dotées de l’autonomie au sens constitutionnel peuvent participer. À ce titre, Saint-Barthélemy peut participer à l’exercice de la compétence pénale en vue de la répression des infractions aux règles fixées par la collectivité dans ses domaines de compétences et en matière de police et de sécurité maritime. Dans cette optique, la collectivité est alors placée en situation de collaboration avec l’État qui reste, avec le Parlement, en position d’exercer un contrôle en légalité et en opportunité et de ce fait de s’opposer à un projet d’acte. La procédure prévoit en effet que l’acte fixant les sanctions adopté par la collectivité fasse l’objet d’un contrôle de l’État matérialisé par un décret – d’approbation partielle, totale ou de refus d’approbation – pour les règles à caractère réglementaires. Pour celles relevant du domaine de la loi, elles font l’objet également d’un décret dans les mêmes conditions, mais n’entrent en vigueur qu’après ratification dudit décret par le Parlement. En intervenant par ce biais dans le champ de compétence de l’État, l’égalité devant la peine reste ainsi préservée puisque sur le fond, les actes adoptés doivent respecter les classifications et limites du droit national.

La différenciation outre-mer s’articule donc autour d’un triptyque « unité/différenciation/participation » compatible avec le caractère unitaire de la République.

Ces trois blocs, fondement de la différenciation sont complétés de matières qui, du fait de l’exiguïté de Saint-Barthélemy, auraient représenté une charge exorbitante en cas de transfert. Sur un territoire de 21 km2, il est en effet inenvisageable de transférer un trop grand nombre d’administrations. Ainsi, des domaines tels que le sport, la santé ou encore l’aviation civile sont restés de la compétence de l’État.

Mais, plus encore que les collectivités d’outre-mer, le statut de la Nouvelle-Calédonie témoigne de la diversité institutionnelle française. Régie par le titre XIII de la Constitution, elle amène la République vers le quasifédéralisme. En témoigne le contrôle juridictionnel exercé par le Conseil constitutionnel sur les « lois du pays ». Avec cette collectivité, le rôle de la hiérarchie des normes dans l’État de droit républicain est d’ailleurs pleinement mis en lumière.

Il ne s’agit pas ici de détailler les statuts des collectivités d’outre-mer, seulement d’étayer à grands traits l’idée qu’il existe au sein de la République une diversité de modèles de différenciation territoriale, voire de « créativité» institutionnelle. L’emploi du pluriel, les outre-mer, souligne bien cette hétérogénéité institutionnelle, tout autant que celle des contraintes, enjeux, problématiques auxquels sont confrontés ces territoires.

Ainsi vue de l’outre-mer, la différenciation territoriale met en lumière la dialectique de l’unité et de la diversité à travers la gouvernance et les transferts des compétences normatives de l’État aux collectivités. Pour l’outre-mer, la synthèse me semble réalisée par l’article 74 de la Constitution. L’article 73 qui régit les DOM-ROM, s’attache essentiellement à une différenciation du point de vue de la gouvernance.

De même, en faisant du regroupement des régions son fer de lance, la récente réforme territoriale s’est essentiellement attachée à l’organisation des institutions en opérant plutôt une ventilation des compétences des collectivités. En témoignent notamment les débats qui ont pu être suscités par la suppression de la clause générale de compétence pour les départements. Bien sûr, la question de la taille pertinente n’est pas secondaire puisqu’elle détermine le champ territorial de l’action. Mais si elle est nécessaire, elle n’est pas suffisante.

Par ailleurs, la coexistence entre compétence de l’État et pratique des compétences normatives par une collectivités d’outre-mer montre également que même dans ce cadre, l’État peut faire prévaloir le pragmatisme sur l’unité pour ne pas dire le centralisme alors même que la compétence pourrait être mieux adaptée à la réalité locale.

Saint-Barthélemy est compétente en matière de tourisme parce que son économie repose intégralement sur cette activité. Or, cette dernière est intimement liée aux conditions de circulation notamment des étrangers.
C’est dans ce contexte, afin d’ajuster certaines dispositions que la collectivité a souhaité partager la compétence de l’État en matière d’entrée et de séjour afin de les adapter aux situations les plus régulièrement rencontrées. Le refus de l’État, pour des raisons de principes et d’opportunité, est révélateur de la culture d’uniformité des règles pouvant prévaloir sur les intérêts des territoires, même l’on peut admettre sa réticence dès lors que l’on touche aux libertés publiques.

Plus largement, peut-on raisonnablement considérer que tous les territoires, y compris métropolitains ont des préoccupations identiques ? La territorialisation des politiques constitue-t-elle un véritable risque pour l’unité ? Il me semble que la différenciation est un moyen de concilier les deux et que l’outre-mer montre que la différenciation peut être rendue compatible avec l’unité de la République. Certes, la notion de diversité y est plus évidente. Mais elle n’en reste pas moins vraie pour les territoires métropolitains même si la solidarité géographique a tendance à l’atténuer. En effet, un territoire frontalier a-t-il les mêmes préoccupations qu’un territoire de montagne ? Ou encore du littoral ? La question se pose même au sein de l’Île-de-France qui regroupe des départements aux profils et donc aux besoins si différents. Chaque territoire dispose d’atouts qui lui sont propres et le rôle des institutions, qui plus est locales, est de les développer. C’est la mise en oeuvre même du principe de subsidiarité.

Avec l’avancée de la construction européenne d’une part, la mondialisation d’autre part, l’organisation territoriale a cessé d’être une problématique franco-française. Elle est d’abord et surtout européenne, et dans une certaine mesure mondiale, car la France doit donner à ses territoires les moyens de trouver leur place déjà dans l’ensemble européen. L’approche par la taille de la loi NOTRe et le regroupement des régions prouve que l’harmonisation européenne est bien au coeur de l’organisation nationale. Au sein de l’ensemble européen la décentralisation française tend vers les régionalismes italien et espagnol, mais elle en est encore loin au niveau métropolitain et elle semble ignorer s’en approcher avec l’outre-mer.

Bien entendu, la solidarité entre territoires est l’autre grand principe charnière de toute réflexion sur l’organisation territoriale et en lien avec l’objectif de compétitivité territoriale. Cette dernière est un fait inhérent à toute politique de développement des territoires.
La péréquation répond à l’exigence de solidarité en corrigeant les retards de compétitivité, mais il convient de prendre garde à ce que l’uniformité ne se transforme pas en force d’inertie. C’est un des constats qui ont amené au changement de statuts européen et national de Saint-Barthélemy. Dans le premier cas, le caractère exorbitant des normes, rapporté à la taille du territoire, faisait de l’intégration européenne davantage un frein qu’une source d’épanouissement du territoire. Il en allait de même pour le statut de commune. Bien que reversant une DGC négative sans dotation de l’État, Saint-Barthélemy dispose d’une meilleure maîtrise de son avenir. En étant commune, quatre échelons administratifs intervenaient dans l’avenir du territoire. Avec son statut actuel, ils ont été ramenés à deux.

À l’échelon du territoire, il est évident que les institutions locales doivent être vues comme un outil de la réussite territoriale au sens large, notamment économique. Ainsi, dans les collectivités d’outre-mer, la différenciation est mise au service de l’efficacité de l’action. La collectivité territoriale devient l’échelon le plus pertinent pour la définition des politiques publiques qui s’appliquent au territoire tout en étant compatible avec un socle national commun dont l’État est à la fois garant et maître d’ouvrage à travers les limites qu’il fixe et son contrôle.

Ce propos résulte ni plus ni moins de la pratique. D’abord, elle permet de constater que les règles fixées pour leur territoire par les collectivités d’outre-mer s’inspirent très largement du droit national. Parallèlement, l’État fixe des limites, notamment dans le domaine clé des libertés publiques, à l’exercice des compétences locales et également avec le contrôle de l’égalité.L’État peut donc définir des domaines non transférables dans lesquels il demeure garant de l’unicité et donc de l’égalité, comme en matière de protection sociale, de justice, etc.

Certes, il ne faut pas sous-estimer le poids de la revendication historique et culturelle dans le processus de différenciation ultramarine. En ce sens, cette dernière est aussi une réponse à l’expression des incompréhensions,voire des frustrations, qui ont pu marquer les rapports entre la métropole et ses outre-mer. Elles ne sont sans nul doute pas de même nature sur le territoire métropolitain.

Un enseignement peut néanmoins en être tiré : la prise en compte des aspirations locales en outre-mer a davantage renforcé les liens qu’elle ne les a distendus. Le changement de statut de Saint-Barthélemy a permis de clarifier les relations avec l’État.
En réalité, ce dernier n’a jamais été aussi présent sur l’île que depuis qu’elle est devenue collectivité d’outremer en 2007.
Ainsi, l’uniformité n’est donc pas le gage de l’attachement à des valeurs communes. De même, en 2012, l’île est devenue pays et territoire d’outre-mer (PTOM), autrement dit un territoire associé à l’Union européenne. Par cette démarche – et sans aucune forme de prosélytisme – elle a ainsi défini une relation pragmatique avec l’Union européenne tout en étant profondément attachée à ses valeurs, telles que la citoyenneté, la liberté de circulation ou encore la monnaie. Je considère au contraire que la différenciation n’est pas une fragilisation. Elle permet en outre-mer une relation choisie et non plus subie.

Par ailleurs, on ne saurait ignorer que les tensions budgétaires résultant de la crise économique placent l’impératif de rationalisation de la dépense au coeur de la réflexion sur l’organisation territoriale. De ce fait, il l’oriente vers plus de mutualisation. Dans cette optique, la région monodépartementale en outre-mer, faisant coexister sur un même territoire deux assemblées délibérantes majeures, dont les compétences se sont de surcroît enchevêtrées pendant de nombreuses années, reste une aberration. Son remplacement par une collectivité territoriale unique ou à tout le moins, la fusion du département et de la région, devrait, dans ce contexte, relever du pragmatisme, dans le respect bien compris de la volonté des populations consacrée par l’article 73 de la Constitution.

Pour toutes ces raisons, l’outre-mer renfermant plusieurs formes de mise en oeuvre de la différenciation, on se trouve aussi aujourd’hui dans une situation où l’exemple pour le centre pourrait paradoxalement venir de la périphérie. La diversité des statuts ultramarins offre des laboratoires institutionnels que malheureusement la culture politique et administrative a tendance à méconnaître, lorsqu’elle ne les ignore pas totalement. Trop souvent l’adaptation des textes à l’outre-mer fait l’objet d’une ordonnance, prévue au dernier article d’un texte, renvoyant le débat au cercle fermé des administrations centrales. Le même constat peut être fait s’agissant du monde universitaire.

Or, en réalité, je suis convaincu que la France en méconnaissant ses outre-mer les affaiblit, mais s’affaiblit elle-même. Elle les affaiblit en leur appliquant des dispositions qui ne leur sont pas toujours adaptées. Quant à la France, elle s’affaiblit elle-même, d’une part, en se privant de leur expérience et, d’autre part, en ne pouvant s’appuyer sur des territoires plus forts, du point de vue économique. Avec l’outre-mer, elle est en effet présente dans toutes les zones du monde sans être en mesure de disposer en eux d’un tremplin vers ces zones. À bien des égards, l’outre-mer a apporté des solutions innovantes à des questions qui se posent aujourd’hui à la métropole. Il y a en outre-mer tant pour l’organisation des institutions que pour le rayonnement économique de la France un pan d’elle-même dont la République gagnerait sinon à s’inspirer du moins à observer.

Michel Magras