tribune de Michel Magras

Le Sénat débat actuellement de la réforme des retraites proposée par le gouvernement de Jean-Marc Ayrault. Je considère que ce texte ne s’articule qu’autour de trois mesures.

D’abord, une mesure d’âge, avec l’allongement de la durée de cotisations d’un trimestre tous les trois ans à compter de 2020 pour arriver à 43 annuités pour les générations nées à partir de 1973.

Ainsi, en allongeant la durée de cotisations sans toucher à l’âge légal de départ – 62 ans aujourd’hui – seules les personnes ayant commencé à travailler tôt seront en mesure de partir à 62 ans avec une retraite à taux plein. Il faudrait en effet commencer à cotiser à 19 ans, à plein temps, pour partir à 62 ans… Mais, surtout, cette mesure n’aura en réalité qu’un effet – celui-là inavoué – celui d’abaisser le niveau des pensions car les personnes qui souhaiteront partir sans avoir atteint leurs annuités de cotisations se verront nécessairement appliquer une décote, ce qui constitue une autre manière de faire des économies.

Le gouvernement introduit bien des possibilités de rachat de trimestres pour rééquilibrer l’allongement de la durée de cotisations, inopérantes à bien y regarder. Les stages rémunérés peuvent donner lieu à rachat dans un délai de deux ans suivant la fin du stage. De même, il est proposé un rachat de trimestres au titre des années d’études dans les dix ans suivant la fin des études. Ainsi, outre que le texte prévoit les jeunes actifs commencent à préparer la fin de leur vie professionnelle celle-ci à peine engagée, le message est totalement à rebours : loin d’encourager à l’activité, il tourne dès son commencement vers la fin de celle-ci.

Le texte porte en second lieu, une mesure budgétaire. En repoussant la revalorisation des pensions du 1er avril au 1er octobre, il fait financer les retraites par les retraités pour la première fois, d’autant plus qu’ils avaient déjà été mis à contribution avec, par exemple, la fiscalisation des majorations de pensions accordée aux parents de trois enfants et plus.

La prise en compte de la pénibilité, troisième axe majeur du texte aurait pu être une avancée qui pâtit toutefois de ne pas avoir été abordée de manière globale. Le compte pénibilité est ainsi introduit dans le texte sur les retraites alors qu’un autre texte est annoncé sur la pénibilité. Or, avant de traiter des conséquences de la pénibilité, il aurait été plus efficace d’organiser sa prévention et d’en tirer les conséquences ensuite. De plus, le compte pénibilité qui permettrait notamment de convertir des points en formation, ne pourrait être mobilisé qu’à la fin de la carrière de son titulaire et non à tout moment, avant que la pénibilité de sa profession n’ait eut de conséquences irréversibles sur sa santé.

Pour ces raisons et d’autres sur lesquelles il serait trop long de s’étendre, je ne peux que considérer que cette réforme n’en est pas une, ne serait-ce que parce qu’elle ne permettrait de réaliser que 7 milliards d’économie sur les 20 nécessaires pour équilibrer le système. Tous régimes confondus, le déficit atteindra environ 21 milliards en 2020.

Le niveau du déficit, la complexité du système commande non seulement une mise à  plat du système des retraites lui-même mais aussi des circuits de financement, à savoir les cotisations. La France dispose en effet d’un des modèles sociaux les plus protecteurs au monde menacé notamment du fait de sa complexité et du poids qu’il fait peser sur l’économie.

Pour les retraites, il existe aujourd’hui plus de trente régimes de base auxquels s’ajoutent les régimes complémentaires. A la multiplicité des régimes s’ajoute en outre la diversité des règles d’acquisition, de valorisation et de calcul des retraites. Le rendement des cotisations est donc plus ou moins avantageux selon le régime, tout comme l’évolution de la pension, plus rapide dans le public que dans le privé. Et dans ces conditions d’hétérogénéité, certains régimes « coûtent » plus que d’autres contribuant au déséquilibre budgétaire.

C’est pourquoi la convergence des régimes constitue une véritable mesure de justice : l’ensemble des bénéficiaires cotiseraient alors au même niveau, pour un rendement identique et une valorisation au même niveau. L’alignement aurait de plus la vertu de redonner une confiance perdue dans le système, en premier lieu par les jeunes, en faisant disparaître le sentiment d’injustice.

C’est par l’emploi que la question des retraites doit être abordée et non par l’impôt, contrairement à ce que propose le Gouvernement. On sait aujourd’hui qu’avec un taux de chômage de 4%, le système est excédentaire. Saint-Barthélemy le démontre puisqu’avec un taux de chômage d’environ 3% pour une population totale de 9 000 habitants, les contributions sociales présentent un excédent de 20 millions d’euros par an. Or, l’actuel gouvernement augmente d’un côté le coût du travail – ce qui pèse sur la compétitivité de l’emploi– tout en augmentant la fiscalité – ce qui pèse sur la croissance, donc l’emploi, donc les sources de financement des retraites.

Il conviendrait au contraire de créer un cercle vertueux favorisant la croissance de l’emploi car le système par répartition reposant sur la solidarité intergénérationnelle qu’il faut préserver, ne pourra l’être qu’à ce prix.

Pour cela, la société française ne pourra pas faire l’économie d’une révolution de son rapport au travail. Dans une note sur la réforme des retraites, l’Institut Montaigne relève à cet égard : « Le progrès social ne consiste pas à mettre fin le plus rapidement possible à des vies de travail fastidieuses voire abrutissantes ; il consiste à rendre le travail épanouissant pour une proportion croissante de personnes […]». 

Michel Magras
Sénateur de Saint-Barthélemy
Président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer

Le 02/11/2013

« C’est par l’emploi que la question des retraites doit être abordée et non par l’impôt, contrairement à ce que propose le Gouvernement. »

« Il conviendrait au contraire de créer un cercle vertueux favorisant la croissance de l’emploi car le système par répartition reposant sur la solidarité intergénérationnelle qu’il faut préserver, ne pourra l’être qu’à ce prix. »